La croissance rapide de ces dernières décennies a mis à très rude épreuve les écosystèmes dans la région Asie-Pacifique (APAC), une situation qui ne peut tout simplement pas durer.

Selon une étude réalisée en 2017, dans la région APAC, il faut deux fois plus de ressources que la moyenne mondiale pour générer une unité de produit économique.

abrdn nous a récemment invités à répondre à des questions sur la biodiversité, à faire un point sur la situation en Asie et à aborder d’autres questions associées*.

Voici les résultats de la discussion :

Quel est l’état de la planète et quels sont les facteurs à l’origine de la perte de biodiversité ?

La biodiversité, ce sont avant tout les écosystèmes, terrestres et marins, au sens le plus large. Nous entendons par là la « nature » ou comme certains préfèrent la qualifier, le « capital naturel ».

La nature est en cours de dégradation, à une vitesse inquiétante. Certaines régions s’en sortent mieux que d’autres. Mais dans certaines zones vitales, comme l’Amazonie, la situation est vraiment catastrophique et ce, depuis déjà de nombreuses années. C’est un problème auquel nous devons nous attaquer sans tarder.

Voici quelques-unes des raisons : la valeur des matières naturelles brutes, la transformation des écosystèmes naturels pour d’autres usages, la pollution, notamment dans les écosystèmes marins, et le changement climatique. [AN]

Que font les entreprises et les investisseurs pour aider à préserver la biodiversité ?

Ce n’est que le début, mais le phénomène suscite un vif intérêt qui va croissant. Certains investisseurs réfléchissent à la diversité et au risque pour les entreprises depuis plusieurs années.

Nous avons des collaborations mondiales vraiment excellentes, conçues pour générer des données sur la biodiversité pour les portefeuilles importants, qui montrent que l’activité des investisseurs évolue rapidement. La situation est vraiment mitigée, certaines classes d’actifs étant plus avancées que d’autres.

La réflexion autour de la biodiversité évolue très rapidement parmi les investisseurs et les entreprises, car elle repose très souvent sur des approches similaires qui ont été mises au point pour le changement climatique.

Conceptuellement, c'est un peu différent. Pour les problèmes qui concernent la biodiversité, nous travaillons souvent à une échelle bien plus locale et les problèmes peuvent être assez différents. Il est parfois plus facile de mieux comprendre la biodiversité au niveau de l’entreprise ou de l’actif, et nous pouvons également expérimenter les opportunités plus directement. [ZW]

Quels sont les principaux défis pour la région APAC ?

Dans la région Asie-Pacifique, les types de risque que nous constatons sont très différents. Dans certaines zones, c’est la déforestation. Dans d’autres, c’est l’urbanisation rapide. Des industries comme la construction des infrastructures ont aussi un impact.

Les éléments du changement des écosystèmes ne sont pas nécessairement différents en APAC de ceux pour la planète, mais il faut définir les éléments spécifiques de cette région, car la nature diffère dans sa composition.

Il faut également savoir que dans la région APAC, comparé à l’Europe et aux États-Unis, le nombre de secteurs économiques directement liés à la nature est bien plus important : on trouve une plus grande concentration d’industries primaires (par opposition aux industries de services) dans de nombreux pays de la région. [AN]

En quoi consiste le sommet de la Convention sur la diversité biologique et quelles sont ses ambitions ?

La Conférence sur la biodiversité de la COP15 vise à définir une politique mondiale pour limiter la perte de biodiversité pour la prochaine décennie. C’est à la biodiversité ce qu’est l’Accord de Paris de 2015 pour le changement climatique.

Les négociations ont commencé en ligne l’an dernier mais elles s’achèveront à Montréal, au Canada, en décembre après une série de perturbations causées par la Covid. L’objectif est de parvenir à un accord sur un plan d’action de long terme : le Cadre pour la biodiversité post-2020.

Quatre objectifs principaux ont été fixés : améliorer la santé des systèmes naturels et stopper les extinctions, intégrer le capital naturel dans la prise de décision politique et commerciale, répartir équitablement les bénéfices du capital naturel, et garantir des ressources suffisantes pour permettre la réalisation de ces objectifs. [ZW]

Quel est le lien avec le monde des affaires ?

On espère pouvoir élaborer une version de l’Accord de Paris, l’accord mondial sur le changement climatique, pour la biodiversité.

On espère pouvoir élaborer une version de l’Accord de Paris pour la biodiversité.

Quand on pense à l’Accord de Paris et à la dynamique qu’il a fait naître dans le monde des affaires, et notamment dans le secteur financier, c’est l’une des seules fois qu’un accord signé sous l’égide des Nations Unies a suscité autant d’intérêt auprès du secteur privé.

Alors que nous espérions que 2020 serait le moment de Paris pour la nature, la Covid a engendré quelques retards. Mais nous aimerions constater quelques avancées en la matière. Cela signifie que nous pourrons commencer à parler des ambitions en faveur de la nature d’ici 2030.

Vous pouvez aussi, dans une certaine mesure, comparer la nature au climat, en termes de risques physiques et de transition. Les entreprises devront gérer leurs risques de biodiversité de la même manière.

Pourquoi est-il important pour les investisseurs de prendre le capital naturel en considération dans leurs processus ? Comment mesurer l’importance financière de la perte de biodiversité pour les entreprises et les investisseurs ?

Les investisseurs doivent assimiler le capital naturel à une infrastructure. Cette dernière fournit un spectre complet de services et de systèmes nécessaires pour faire tourner une entreprise, dont les clients ont besoin pour prospérer.

Sans cette infrastructure ou ressource, vous n’auriez sûrement pas une entreprise ou vous seriez obligé de changer la manière dont vous la dirigez. Les entreprises doivent gérer leur accès aux matières premières afin de pouvoir continuer à fonctionner.

De nombreux secteurs dépendent d’une manière ou d’une autre du capital naturel : eau, eau propre, pollinisation, sols fertiles, propriété intellectuelle génétique. D’autres entreprises ont un impact sur la nature en laissant une empreinte importante sous forme de pollution ou de changement climatique.

De nombreux investisseurs essaient de valoriser le capital naturel pour chaque placement. L’essentiel de ce travail d’évaluation est toutefois réalisé en élaborant une série d’études de cas rigoureuses. [ZW]

Comment les investisseurs peuvent-ils jouer leur rôle ? Comment doivent-ils intégrer la biodiversité dans leurs processus ?

Il ne faut pas oublier les contrôles. Vous pouvez par exemple rechercher les certifications concernant la lutte contre la déforestation ou les fruits de mer écoresponsables.

Vous pouvez vous intéresser aux valorisations et à l’importance financière. C’est plus simple dans certains cas que dans d’autres. Par exemple, attribuer une valeur financière à l’eau est plus facile. Mais comment mesurer la valeur financière de la diversité des espèces ? Il faudrait réfléchir à d’autres façons de l’intégrer dans la prise de décision financière.

Le troisième volet est l’alignement : comment aligner votre portefeuille sur les objectifs en matière de biodiversité ? Vous devez fixer vos objectifs mais vous devez réfléchir aux moyens de les atteindre.

Je vous demanderais de conclure cet entretien par une note positive.

On peut déjà se réjouir d’avoir ces discussions. Lorsque j’ai commencé ces conférences il y a dix ans, la biodiversité était un thème de niche. Nous espérons avoir des engagements politiques forts qui aboutiraient à un nouvel accord sur la biodiversité à la fin de l’année. C’est aussi très enthousiasmant de voir autant d’investisseurs commencer à placer leur argent dans la nature et dans des investissements positifs pour la nature. [AN]

Certaines des innovations actuelles sont extraordinaires. C’est une infime partie du capital disponible qui est toutefois investi sur les marchés privés et ailleurs. Les nouvelles classes d’actifs peuvent surfer sur la tendance afin que ces enjeux soient intégrés dans le cadre de gouvernance. [ZW]

* Zoe Whitton [ZW] et Anders Nordheim [AN] ont participé à un panel de discussion lors du Sommet inaugural sur le développement durable d’abrdn qui s’est tenu le 24 mai à Singapour. Les réponses ont été modifiées par souci de clarté et de concision.