En Europe, le pic de l'inflation est à présent dans le rétroviseur. La croissance des salaires s’est révélée moins intense qu’on ne le craignait. Les taux sont supérieurs au taux neutre, à hauteur de 2 % environ. La BCE (Banque centrale européenne) et la BoE (Bank of England) s'apprêtent à réduire les taux. Cela se produira probablement en juin 2024.
La situation est toutefois différente aux États-Unis. Compte tenu de la résilience des marchés du travail, de l’activité de consommation plus élevée que prévu et de la ténacité de l'inflation, les baisses de taux agressives semblent moins envisageables. Nous pensons toujours que la Fed (Réserve fédérale américaine) réduira ses taux cette année. Toutefois, si les tendances du premier trimestre se confirment, l’ampleur de ces réductions sera limitée.
Le reste de l'année 2024 s'articulera donc autour des banques centrales.
Quelles seront les conséquences de la passivité de la Fed sur la BCE et la BoE ?
Autrement dit, si la Fed limite la baisse de ses taux, l'Europe en fera-t-elle de même ?
La célèbre chanson des Clash s'y prête parfaitement : should I stay or should I go ? Tel est le dilemme des grandes banques centrales :
"If I go there will be trouble"
L’Europe et le Royaume-Uni sont deux économies distinctes : leurs banques centrales sont entièrement indépendantes de la Fed. Est-il important qu’elles restent dans le sillon des décisions prises aux États-Unis ?
Les banques centrales européennes doivent se poser trois questions. Voici la première : la résilience économique américaine est-elle un événement à part, ou est-ce que l'Europe et le Royaume-Uni rattraperont leur retard ? Nous pensons que les États-Unis font cavalier seul. En raison de la structure du secteur hypothécaire américain signifie, il faut beaucoup de temps avant qu’une hausse des taux d’intérêt n’affecte monsieur Tout-le-monde (en tout cas, plus longtemps qu’en Europe). Le Inflation Reduction Act (loi sur la réduction de l'inflation) du président Biden entraînera de colossales dépenses fiscales. En effet, les États-Unis accusent un déficit fiscal de plus de 6 %.
Deuxième question : les deux banques centrales peuvent-elles prendre une décision avant la Fed ? La réponse est oui. D'ailleurs, cela s’est déjà produit, et la situation est susceptible de se produire à nouveau.
Quoi qu'il se passe aux États-Unis, la BCE diminuera ses taux. La BoE semble quelque peu confuse. Toutefois, l'inflation est à la baisse et le marché du travail connaît un relâchement : les conditions sont réunies pour une réduction au début de l’été.
Troisième question : Les banques centrales européennes diminueront les taux en premier, mais jusqu’où peuvent-elles aller sans la Fed ? C’est la grande question que se posent les marchés.
Les divergences de politique transatlantique en matière de taux d’intérêt se répercutent sur les différentiels de taux de change. En partant du principe que tous les autres paramètres sont équitables, si une banque centrale réduit ses taux plus agressivement qu'une autre, alors la valeur de sa monnaie diminue. L’Europe et le Royaume-Uni sont tous deux des économies axées sur les importations. Par conséquent, un affaiblissement de l’euro ou de la livre sterling entraînerait une inflation importée.
Pour l’Europe, l’échelle géographique, la diversité économique et les marges bénéficiaires saines des entreprises signifient que l’inflation importée ne devrait pas poser problème. En revanche, l'inflation pourrait être plus importante au Royaume-Uni, compte tenu des défis structurels liés à l’offre de main-d’œuvre et à la productivité.
"If I stay it will be double"
Que se passe-t-il si les banques centrales européennes limitent leurs cycles de baisse des taux d’intérêt ?
Il s'agit de ne pas baisser les taux trop longtemps. Les économies du Royaume-Uni et de la zone euro peuvent se permettre d'être quelque peu optimistes. Toutefois, si les taux sont trop élevés, cela freinera la croissance. Il faut donc veiller à ce que l'inflation ne soit pas trop élevée, mais également à éviter un retard de croissance dû à une politique monétaire trop restrictive.
Les deux banques centrales ont un mandat de ciblage de l’inflation. Par crainte d'un resserrement excessif, elles ont tardé à augmenter les taux pour la période 2021-2023. Il s'agit donc de ne pas répéter cette erreur concernant la baisse des taux. Si les conditions internes justifient la baisse des taux, les banques doivent baisser les taux.
Dans l’ensemble, nous pensons que le risque que la BoE et la BCE retardent leurs efforts comme la Fed l’emporte sur le risque de faire cavalier seul.
"Well, come on and let me know"
Le prix des marchés est basé sur l'indécision.
Les investisseurs doutent que les banques centrales européennes puissent faire cavalier seul.
D’ici fin 2025, les marchés prévoient que la BCE procédera à cinq baisses et que la BoE, à l’instar de la Fed, procédera à quatre baisses. Le nombre de réductions a donc considérablement baissé par rapport aux prévisions du début de l'année. Comme nous l’avons indiqué dans notre article de janvier « le syndrome "FOMO" et le comité FOMC », le redressement de fin d’année est allé trop loin. Dans l'UE, mais aussi et surtout au Royaume-Uni, les prix ont désormais trop baissé.
L’UE peut se permettre de procéder à plus de baisses de taux que la Fed. En revanche, le Royaume-Uni doit s'en abstenir.
Pourquoi les marchés estiment-ils que le Royaume-Uni imitera le cycle de réduction des taux américains ?
Tout d'abord, parce que les dernières données sur l'emploi et l'inflation au Royaume-Uni ne sont pas encourageantes. Certes, l'inflation globale diminue, mais l’inflation des services et la croissance des salaires restent obstinément élevées.
Le marché du travail britannique s’affaiblit à un rythme soutenu. Nous nous attendons à ce que les salaires baissent et entraînent dans leur chute l'inflation des services.
Enfin, nos amis de la BoE sont loin de se jeter des fleurs en ce qui concerne la communication. Les acteurs du marché ne vont probablement pas faire de commentaire en direct, mais la confusion n'est pas sans conséquences sur la crédibilité, et la BoE semble confuse.
"This indecision’s bugging me"
Que vont faire les marchés à partir de maintenant ?
Les deux prochains mois devraient lever de nombreux doutes.
Aux États-Unis, nous verrons si la vigueur économique du premier trimestre n’a pas été simplement une valeur aberrante. Nous saurons alors quand et dans quel mesure la Fed réduira ses taux.
Dans l’UE, la BCE devrait certainement réduire ses taux en juin.
Enfin, au Royaume-Uni, les données devraient rassurer la BoE et les marchés sur le fait que la bataille contre l’inflation touche à sa fin.
"So you gotta let me know – should I stay or should I go?"
Les banques centrales européennes n'ont selon nous aucune raison d'attendre la Fed. Nous nous attendons toujours à ce que les États-Unis baissent leurs taux cette année, mais la dynamique de l’inflation aux États-Unis est différente de ce que l’on connaît de ce côté-ci de l’Atlantique. Par conséquent, il n'est plus question pour les banques centrales européennes d'hésiter à baisser les taux.