Le défi à venir

Parlons chiffres. Les bâtiments produisent actuellement environ 36 % des émissions de gaz à effet de serre du continent européen. L’objectif affiché par la Commission européenne (CE) est de réduire les émissions des bâtiments de 60 % d’ici 2030. Cet objectif tient compte de la contribution nécessaire du secteur pour nous permettre d’atteindre l’objectif de Paris de limiter la hausse des températures à seulement 1,5 degré. L’ampleur du changement est sans précédent.

Les réductions qui s’imposent proviendront en partie de la décarbonation du réseau électrique et des renouvelables statiques. Toutefois, on estime que 85 à 95 % des bâtiments existants seront toujours debout en 2050. Les réductions d’émissions les plus importantes devront par conséquent provenir de la rénovation en profondeur, à savoir des modernisations complètes des services des bâtiments pour parvenir à une amélioration significative de l’efficacité. Près de 85 % des bâtiments du continent ont été construits avant 2001. Cette initiative, baptisée « Vague de rénovation », constitue donc un défi de taille pour le secteur et les chaînes d’approvisionnement dans les décennies à venir.

Il faudra notamment décarboner le chauffage, ce qui sera possible en remplaçant les chaudières fonctionnant à l’énergie fossile par des pompes à chaleur. Cela devrait se traduire par une augmentation de 400 % des ventes de pompes à chaleur dans les 30 prochaines années. Ce qui nous amène à nous interroger sur la capacité des chaînes d’approvisionnement à monter en puissance assez rapidement, ainsi que sur nos propres capacités pour répondre à cette demande. Pour se faire une idée de l’ampleur du défi, imaginez que seulement 11 % des bâtiments en Europe sont rénovés chaque année. De plus, seulement 0,2 % de ces rénovations s’accompagne d’une réduction sensible des émissions. Au rythme actuel, la décarbonation pourrait prendre des siècles.

Une rénovation qui décarbone substantiellement un bâtiment peut avoir une prime de dépenses de capital de 10 à 20 % (et parfois plus) par rapport aux rénovations conventionnelles. Selon notre expérience, les actifs bas-carbone future-fit attirent les occupants et les investisseurs tant dans l’immobilier commercial que dans le logement. Pour certains bâtiments, les entreprises peuvent ainsi facilement justifier le surplus de dépenses par le fait que l’amélioration des caractéristiques du bâtiment permettra de bénéficier d’une prime et protègera conte l’obsolescence. Mais les coûts supplémentaires d’une rénovation en profondeur ne devraient pas être viables au plan commercial pour un sous-ensemble important d’édifices, ce que l’on appelle l’obsolescence économique. C’est notamment le cas en l’absence de mix politique qui incite à prendre les mesures nécessaires dans des conditions de concurrence égales.

Environ 275 milliards d’euros supplémentaires devront être investis chaque année pour atteindre l’objectif 2030

Attention à la marche

La rénovation efficace énergétiquement et durable des bâtiments se heurte à un large déficit d’investissement. Selon la CE, environ 275 milliards d’euros supplémentaires devront être investis chaque année pour atteindre l’objectif 2030, l’essentiel de cette somme étant consacré à améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments. Au plan mondial, le secteur devra dépenser 3 500 milliards de dollars de plus par an pour améliorer les actifs physiques afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Comme nous l’expliquions, les propriétaires et les prêteurs devront en assumer une partie dès lors qu’une rénovation en profondeur s’avèrera nécessaire. Pour autant, une part important proviendra nécessairement du budget européen qui devra inciter à rénover en priorité les bâtiments les moins performants. Ce qui pose une autre question : serons-nous mesure d’investir suffisamment et assez rapidement pour atteindre cet objectif ?

Carbone incorporé

En ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre des bâtiments, il y a toujours un éléphant dans la pièce - le carbone incorporé, qui correspond à toutes les émissions créées en extrayant, fabriquant et transportant des matériaux pendant la phase de construction. On estime que le carbone incorporé pourrait représenter 60 à 70 % des émissions d’un bâtiment pendant sa durée de vie. Certes, plusieurs pays européens cherchent à s’attaquer au problème. Le carbone incorporé reste en grande partie inconnu et déréglementé. La Vague de rénovation aura pour effet d’accroître le carbone incorporé, à mesure que nous investissons dans les bâtiments existants. D’où l’importance d’avoir une approche coordonnée des acteurs du secteur et des décideurs politiques afin de mettre l’accent sur la mesure et la réduction du carbone sur l’ensemble du cycle de vie, pas seulement lors de la phase opérationnelle.

Électrification

La transition bas-carbone comporte l’électrification de presque tout, du chauffage au transport. Même avec une augmentation importante des capacités et du stockage des renouvelables, si nous électrifions la majorité des bâtiments et la plupart de nos moyens de transport dans les prochaines décennies, nous n’aurons pas assez d’électricité neutre en carbone sans améliorations sans précédent de l’efficacité énergétique des bâtiments.

Selon le Green Building Council britannique, la fourniture d’électricité zéro-carbone augmentera de 140 % d’ici 2050. Pour atteindre ce niveau, la demande d’énergie doit diminuer de 60 %. Les défis sont similaires en Europe, les variations dépendant du mix d’approvisionnement du réseau existant.

Dernières réflexions...

Une fois ces problèmes mis bout à bout, on peut penser que le défi qui nous attend est presque insurmontable. Le coût de l’inaction serait également considérable. Pas seulement en termes financiers (nous estimons que plus de 80 % de la valeur comptable et 75 % de la surface des bâtiments du monde entier sont exposés aux impacts physiques du changement climatique), mais aussi sur le plan humain. Les décideurs politiques, les promoteurs et les investisseurs doivent impérativement agir. Le GIEC a déjà prévenu que tout retard supplémentaire nous amènerait à manquer la très brève fenêtre d’opportunité qu’il nous reste pour garantir un avenir vivable et durable pour tous.

Sachez que cet article a déjà été publié en allemand dans une revue suisse, Finanz und Wirtschaft